A la mort de son père en 1638, John Tradescant le Jeune a 30 ans et a déjà repris le flambeau des expéditions familiales (cliquez ici pour la première partie de l’article). Ses voyages vont le conduire, comme son père auparavant, aux confins du monde connu par les Européens de l’époque, dans les colonies anglaises en Amérique du Nord, en Virginie.

L’établissement permanent des Européens dans cette région était en effet très récent, faisant suite à la création en 1606 de la « London Company », pour la découverte et l’exploitation des nouveaux territoires, sur le même modèle que la Compagnie de Moscovie quelques décennies plus tôt. Cet établissement ne s’est hélas pas fait sans heurts avec les tribus locales des Powhatan (ces conflits ont d’ailleurs été relatés dans de nombreux récits romancés impliquant les personnages de Pocahontas, du Capitaine John Smith ou de John Roolfe…). Ces troubles et les difficultés économiques profondes de l’entreprise ont conduit à sa dissolution en 1624 et à la prise de contrôle directe de la couronne sur ces territoires, faisant ainsi de la Virginie de facto la toute première colonie royale britannique qui sera suivie par de nombreuses autres dans le monde entier jusqu’au XXème siècle.

Au cours de ses voyages en Virginie John Tradescant le Jeune rapporte de nombreuses espèces encore inconnues en Europe dont plusieurs espèces de magnolia (Magnolia sp.), le tulipier (Liriodendron tulipifera), le cyprès chauve (Taxodium distichum), l’érable rouge (Acer rubrum) et le noyer d’Amérique (Juglans nigra), autant d’espèces aujourd’hui familières de nos parcs et jardins. Mais aussi des asters (Aster sp.), des phlox (Phlox sp.) et la vigne vierge, c’est-à-dire de Virginie ! (Parthenocissus quinquefolia), ainsi que de nouvelles espèces du genre Vitis comme V. labrusca (vigne américaine) et V. vulpina. La première, en particulier, va donner plusieurs cépages, localement naturalisés en Europe, mais interdits depuis 1934 !

Il rapporte aussi une nouvelle espèce de platane, le platane d’Amérique (Platanus occidentalis) qui va s’hybrider avec le platane d’Orient (Platanus orientalis) déjà présent en Europe. Selon la légende, cet hybride spontané aurait été trouvé pour la première fois par Tradescant dans les jardins de Vauxhall, où les deux espèces se côtoyaient, mais peut-être le croisement s’est-il fait en Espagne (d’où son nom Platanus x hispanica) ? En tout cas, cet hybride largement planté à partir du XVIIIème siècle, est devenu depuis emblématique des rues et boulevards de nombreuses villes européennes, comme Paris et Londres (« London plane »), supplantant ses « parents ».

John Tradescant le Jeune continue ainsi tout au long de sa vie l’œuvre de son père en enrichissant année après année la collection de plantes et d’objets insolites dans le manoir de l’Ark à South Lambeth. Dans les années 1650, il fait la connaissance d’un riche et influent collectionneur, Elias Ashmole, qui finance le catalogue de sa collection, the Musaeum Tradescantianum (1656), et qui obtiendra le lègue de la collection à sa mort en 1662. Vingt ans plus tard, en 1682, Ashmole transmettra la collection à l’Université d’Oxford où, combinée à d’autres collections, elle donnera naissance à l’Ashmolean Museum (où se trouvent encore les pièces originales de la collection de Tradescant, comme le dodo et la cape de Powhatan)

John Tradescant le Jeune est enterré dans le tombeau familial avec son père, ses deux femmes et son fils, dans les jardins de Saint Mary-at-Lambeth. Depuis 1980, cette église est devenue le Garden Museum célébrant l’art et l’histoire des jardins (récemment rénové en 2017).

En 1753, Linné donne le nom de Tradescantia à un genre comprenant 75 espèces de la famille des Commelinaceae en l’honneur de ces deux explorateurs, botanistes et jardiniers, et en particulier de John Tradescant le Jeune qui a ramené la première espèce du genre (Tradescantia virginiana) en Angleterre en 1629.

Cette plante est bien connue en France comme misère à cause de sa capacité de propagation et son caractère très invasif. En Amérique latine elle est aussi connue comme la fleur de Sainte Lucie, protectrice des yeux et de la vue, pour l’usage traditionnel de son jus utilisé pour calmer les congestions oculaires.

La prochaine fois que vous verrez dans une plate-bande ou sur les étals d’une jardinerie des misères, vous ne pourrez maintenant plus vous empêcher d’avoir une petite pensée pour la vie de ces deux hommes qui se cachent derrière ce curieux nom de Tradescantia