Parmi les espèces végétales les plus convoitées par les botanistes et les photographes amateurs au début du printemps, il y a certainement la célèbre fritillaire pintade (Fritillaria meleagris). Nous ne faisons pas exception et sommes ainsi partis à sa rencontre il y a quelques jours dans les prés humides autour des marais de Lavours (01).

Fritillaire pintade (Fritillaria meleagris)
Fritillaire pintade (Fritillaria meleagris). Marais de Lavours (01) – Avril 2021

Emblématique et spectaculaire en France, F. meleagris n’est pourtant pas la seule espèce du genre Fritillaria. Ce genre fait partie de la famille des Liliaceae et comporte environ 130 espèces, souvent endémiques, présentes en Europe, Asie et Amérique du Nord, très proches phylogénétiquement des lys (genre Lilium). La grande majorité de ces espèces pousse en milieu sec (prairies sèches d’altitude, pentes rocheuses, rocailles, broussailles), avec quelques espèces « atypiques » présentes en lieux humides (F. meleagris, F. japonica, F. camschatcensis).

Fritillaire du Kamtchatka (Fritillaria camschatcensis)
Fritillaire du Kamtchatka (Fritillaria camschatcensis). Baie de l’Astronomie, Mer d’Okhostk (Russie) – Juin 2016. Courtoisie de Samuel Blanc (Horizons partagés)

Les fleurs à périanthe campanulé sont généralement pendantes avec des tépales souvent bicolores ou présentant de curieux motifs en damier. Leur morphologie est ainsi parfaitement adaptée à une reproduction sexuée le plus souvent assurée par des bourdons (genre Bombus), attirés par des nectaires collés à la base des tépales, bien que les plants puissent également se propager par division des bulbes.

Fritillaire pintade (Fritillaria meleagris)_ Détail
Fritillaire pintade (Fritillaria meleagris) – vue intérieure

La première fritillaire à être mentionnée en Europe est la fritillaire impériale ou couronne impériale (Fritillaria imperialis), une espèce originaire d’Asie (de la Turquie au Pakistan), connue d’abord par son appellation persane tusac, puis comme hiacintho di Homero en Italie en 1553. Des planches retrouvées récemment parmi les la collection d’un noble vénitien du XVIe, attestent d’une première reproduction du hiacintho di Homero en 1566.

Couronne impériale (Fritillaria imperialis)
Fritillaire impériale ou couronne impériale (Fritillaria imperialis). Rumilly (74) – Avril 2021

Les premiers bulbes, quant à eux, ont probablement été ramenés à Vienne depuis Constantinople par Ogier Ghiselin de Busbecq, l’ambassadeur de l’Empereur Ferdinand à la cour du sultan Suleiman Ier, car leur présence y est attestée en 1572. Sa première floraison « européenne » est répertoriée quatre ans plus tard par Rembert Dodoens. Il nommera la plante Lys de Perse (Lilium persicum), mais comme cette fleur existait déjà dans les jardins européens…, elle sera renommée plus tard par Alfonso Pancio Couronne impériale (Corona imperialis).

Les bulbes seront alors envoyés dans les cours d’Europe et une véritable « fritillairomanie » va voir le jour avec de riches passionnés qui vont rivaliser pour obtenir des fleurs colorées, plus nombreuses…anticipant de quelques décennies la célèbre tulipomanie qui créera une folie autour des bulbes d’une autre Liliaceae. Bien qu’ayant perdu une telle notoriété, cette espèce que Linné nommera finalement Fritillaria imperialis en 1753, est toujours cultivée en Europe 400 ans plus tard où elle fleurit de nombreuses plates-bandes de nos villes au cours du mois d’avril.

La fritillaire impériale, a également été utilisée traditionnellement dans la médecine du Moyen-Orient pour ses propriétés diurétiques, expectorantes, émollientes et résolutives, pour traiter les affections de l’appareil respiratoire (maux de gorge, toux, bronchite, asthme, hémoptysie), ainsi que les écrouelles et les tumeurs glandulaires, la dysurie…et pour augmenter la production de lait. Les extraits (toxiques) de ses bulbes et les principes actifs, en particulier les alcaloïdes (ebéinone, impérialine), ont fait d’ailleurs l’objet de plusieurs recherches au cours des dernières décennies notamment pour leurs propriétés anticholinergiques et antiagrégants plaquettaires qui pourraient être mises à profit dans différentes pathologies.

Couronne impériale (Fritillaria imperialis)
Fritillaire impériale ou couronne impériale (Fritillaria imperialis). Rumilly (74) – Avril 2021

  

Comme d’autres Liliaceae, les fritillaires contiennent des hétérosides de flavonols, mais aussi des esters d’acides di- et triféruliques et des saponines. Bien que les bulbes présentent une certaine toxicité, liée notamment à la présence d’alcaloïdes (verticine, impérialine) pouvant causer des vomissements ou des arrêts cardiaques, ils sont utilisées depuis au moins 2000 ans en médecine traditionnelle chinoise. Sous le nom de beimu, ils sont indiqués en particulier pour leurs propriétés antitussives et expectorantes dans différentes affections des voies respiratoires (maux de gorge, toux, bronchite, asthme) ainsi que pour leurs propriétés anti-hypertensives. Les bulbes d’une quinzaine de fritillaires, notamment F. cirrhosa, F. przewalskii, F. unibracteata, F. taipaiensis, F. thunbergii et F. delavayi, ont ainsi une grande renommée et sont traditionnellement utilisés, seuls ou associés avec un extrait de néflier du Japon (Eriobotrya japonica). Leur mode d’action pourrait contribuer entre autres à diminuer la réponse inflammatoire, à inhiber la production de cytokines et d’histamine.

Fritillaria thunbergii
Fritillaire de Thunberg (Fritillaria thunbergii) (Source Wiki Commons)

Cet engouement a malheureusement conduit ces dernières années à un ramassage à grande échelle des bulbes, mettant à risque d’extinction plusieurs espèces endémiques de fritillaires en Chine. Un article récent suggère même que la pression anthropique aurait conduit par une adaptation évolutive Frittilaria delavayi à modifier sa couleur et à adopter une tenue « de camouflage » pour survivre. Les individus aux couleurs moins visibles seraient en effet plus difficilement repérés et ramassés…

Curieusement les espèces du genre Fritillaria possèdent un des plus grands génomes connus, entre 30 et 85 Gb (109 paires de bases), voire même davantage (130 Gb) chez l’espèce tétraploïde F. assyriaca, ce qui est 1000x plus grand que les plus petits génomes des Angiospermes et bien plus grand que le génome humain diploïde qui n’est « que » de 3.3 Gb. Il n’y a pas de lien évident entre la taille du génome et la complexité d’un organisme, mais il est intéressant de noter que plusieurs études ont montré que les espèces végétales ayant de grands génomes sont davantage à risque d’extinction, car moins adaptables à des milieux pollués ou pauvres en nutriments et moins résistantes aux conditions environnementales extrêmes.

Fritillaire du Kamtchatka (Fritillaria camschatcensis)
Fritillaire du Kamtchatka (Fritillaria camschatcensis). Baie de l’Astronomie, Mer d’Okhostk (Russie) – Juin 2016. Courtoisie de Samuel Blanc (Horizons partagés)

Certains bulbes de fritillaires (F. camschatcensis, F. affinis, F, pudica), riches en amidon, seraient aussi sporadiquement consommés localement, après une préparation adéquate, par certains peuples autochtones pour leurs propriétés nutritives.

En France, on trouve à l’état sauvage 5 espèces de Fritillaires, que nous allons découvrir dans la deuxième partie de cet article, à paraître très vite…

Références

Horizons partagés, Agnès Brenière et Samuel Blanc, guides et photographes.

Al-Snafi. Fritillaria imperialis – A Review. IOSR Journal of Pharmacy (2019).

Da-Cheng et al. Phytochemical and biological research of Fritillaria medicinal resources. Chinese Journal of Natural Medicines (2013).

Day P. D. Studies in the genus Fritillaria L. (Liliaceae). PhD Thesis Queen Mary University of London (2017).

Kelly et al. Analysis of the giant genomes of Fritillaria (Liliaceae) indicates that a lack of DNA removal characterizes extreme expansions in genome size. New Physiologist (2015).

Wang et al. Plant resource availability of medicinal Fritillaria species in traditional producing region in Qinghai-Tibet Plateau. Frontiers in Pharmacology (2017).

Yin et al. Pharmacological effects of verticine: current status. Hindawi. Evidence-Based Complementary and Alternative Medicine (2019).