Dans les sous-bois frais et humides, comme les hêtraies, pousse au début du printemps une petite plante, la muscatelle (Adoxa moschatellina). Cette plante présente dans le nord de l’Europe, de l’Asie et de l’Amérique est bien diffuse sur le territoire français à l’exception de la région méditerranéenne et atlantique. Elle forme en général de vastes colonies, et pourtant, elle est presque invisible !

Muscatelle (Adoxa moschatellina)
Muscatelle (Adoxa moschatellina), Moye (74), avril 2021

De taille modeste (5-15 cm de hauteur), ses fleurs sont verdâtres et elle effectue son cycle annuel en seulement 3 mois, entre mars-avril et juin, puis les parties aériennes de la plante disparaissent jusqu’à l’année suivante.Cette discrétion, qui lui vaut de passer inaperçue, est d’ailleurs à l’origine de son nom scientifique (Adoxa). Avec un a-privatif devant le terme grec doxa (= gloire, réputation ou reconnaissance), son nom signifie littéralement sans gloire, obscure, méconnue.

Muscatelle (Adoxa moschatellina)_Feuilles trilobées mucronées
Des feuilles trilobées mucronées

Si on observe la muscatelle d’un peu plus près, on peut voir des feuilles opposées à segments trilobés terminés par une petite pointe (mucronés). Mais la grande originalité de cette plante se trouve dans son inflorescence. Celle-ci est en effet formée de 5 fleurs disposées de façon pour le moins curieuse. Comme sur les faces d’un dé, une fleur à 4 pétales est tournée vers le haut et les quatre autres, à 5 pétales, sont disposées à 90° sur les autres faces du cube. A cause de cette allure très particulière, la muscatelle est connue dans le monde anglo-saxon comme townhall clock, c’est-à-dire l’horloge de l’hôtel-de-ville, dont elle rappelle la disposition des cadrans.

Son nom d’espèce et vernaculaire de muscatelle indique l’odeur de musc que la plante libère le soir. Ses principaux pollinisateurs sont en effet des mouches attirées par cette odeur « animale » et des papillons de nuit qui n’ont cure de ses couleurs peu vives.

Cette petite plante, peu connue et peu utilisée, contient toutefois des séco-iridoïdes (secologanine, morroniside) proches du gentiopicroside de la gentiane (Gentiana lutea) ainsi que des iridoïdes (adoxoside). Cazin l’a surtout utilisée pour ses propriétés anti-spasmodiques et calmantes nerveuses à tropisme digestif (gastralgies), mais aussi diaphorétiques en association avec du tilleul et du gaillet jaune. Bien que peu étudiés, ses principes actifs (iridoïdes) pourraient également lui conférer des vertus anti-inflammatoires et myorelaxantes intéressantes.

Cette toute petite plante modeste a été une mal-aimée des botanistes, qui ne savaient pas dans quelle famille la classer. Tour à tour rangée dans les Saxifragaceae, les Araliaceae ou les Caprifoliaceae, elle a fini par être isolée dans une famille ad-hoc, celle des Adoxaceae. Mais l’histoire de ce paria va prendre un tournant inattendu au cours des dernières décennies…Les dernières avancées, confirmées par l’approche phylogénétique (APG), révèlent que des arbres et arbustes bien connus et appréciés de nos régions comme le sureau (genre Sambucus) et le viorne (genre Viburnum) lui sont très proches et deviennent alors des…Adoxaceae !

Voilà donc qui se cache derrière cette dénomination quand vous lisez que le sureau noir s’appelle Sambucus nigra L. (Adoxaceae). Après une longue existence dans l’anonymat, ce sont aujourd’hui les feux de la rampe pour la muscatelle…