Avec ses fleurs tétramères à 4 sépales et 4 pétales en croix, l’épilobe fait donc partie de la famille des…Onagraceae. Et oui, comme les onagres (genre Œnothera)! En effet, contrairement aux membres de la famille des  Brassicaceae qui ont 6 étamines, dont 4 longues et 2 courtes, et un ovaire supère, les épilobes ont quant eux 8 étamines et un ovaire infère. Cette disposition du périanthe à l’extrémité d’un ovaire très allongé est d’ailleurs à l’origine de l’appellation du genre Epilobium (du grec epi = au-dessus et lobion = sorte de gousse en deux parties).

Epilobium angustifolium

Si l’on suit les clefs de détermination du genre, les épilobes peuvent être divisés en deux grands groupes. Dans le premier, toutes les feuilles sont alternes et le style est courbé vers le bas: il comprend, à nos latitudes, l’épilobe à feuilles étroites (Epilobium angustifolium), l’épilobe romarin (E. dodonaei) et l’épilobe de Fleischer (E. fleischeri). Selon les dernières classifications ce groupe doit être considéré aujourd’hui un genre à part entière, le genre Chamerion ou Chamaenerion (du grec erion = laine) les graines étant surmontées de longues soies plumeuses favorisant la dispersion. Le second groupe, dont les feuilles inférieures sont verticillées ou opposées, comprend lui toutes les autres espèces et représente le genre Epilobium au sens strict. La détermination à l’intérieur du genre s’avère relativement ardue car si l’on peut grossièrement séparer les espèces en fonction de la forme des stigmates (étalés en croix ou réunis en massue), les autres critères sont bien plus délicats à appréhender et une détermination précise ne peut souvent hélas se faire que sur la base de la graine.

(a) stigmates en croix ; (b) stigmates en massue

L’espèce la plus diffuse est certainement l’épilobe à feuilles étroites (Epilobium angustifolium), qui forme de grandes colonies sur des sols riches en nutriments dans les coupes forestières, le long des chemins ou des rives des lacs et torrents. Plante héliophile pionnière, sa souche résistante lui permet de survivre aux perturbations du milieu et en particulier aux incendies (d’où son nom anglais de fireweed, c’est-à-dire herbe du feu) et d’être l’une des premières espèces à recoloniser les milieux ayant subi des dommages, laissés en friche ou dévastés par le feu. L’élixir floral que l’on obtient par macération solaire de ses fleurs, connu aussi comme « élixir du burn out », favorise de la même manière le lâcher-prise suite à d’importants dégâts, permet d’envisager un nouveau départ et de soutenir une transition vers un nouveau parcours en apportant de nouvelles visions et stratégies.

Cet épilobe est aussi connu comme laurier de Saint-Antoine, d’après Antoine le Grand, saint ermite du IIIème siècle que l’on invoquait pour soigner les maladies de peau. Parmi celles-ci une des plus tristement célèbres était certainement le mal des ardents ou feu de Saint Antoine (ergotisme) dû à la contamination du seigle par un champignon (Claviceps purpurea) qui provoqua des épidémies en Europe à partir du Xème siècle. Entre autres symptômes cette intoxication provoquait convulsions, hallucinations et des sensations intenses de brûlures avec des plaies purulentes conduisant souvent à la gangrène, l’amputation et la mort du malade. Considérée comme une punition divine, le meilleur remède consistait en un pèlerinage, en particulier à Saint-Antoine-l’Abbaye (Isère), où étaient conservées les reliques du saint. L’éloignement de la source de contamination permettait ainsi souvent une guérison « miraculeuse »…

L’épilobe a été remis à l’honneur dans les années 1980 par la phytothérapeute autrichienne Maria Treben dans son bestseller « la santé à la pharmacie du Bon Dieu », pour traiter les affections du système urogénital, les épilobes à petites fleurs (notamment E. parviflorum) s’avérant particulièrement efficaces dans le traitement de l’hyperplasie bénigne de la prostate. Bien que Maria Treben déconseille les « épilobes à grandes fleurs », c’est-à-dire E. angustifolium et E. hirsutum, qu’elle qualifie d’« herbes à malheurs », de nombreuses études ont confirmé l’action anti-inflammatoire et anti-œdémateuse de flavonoïdes dérivés du myrcétol et du quercétol présents dans l’ensemble du genre Epilobium en inhibant la synthèse et la libération des prostaglandines. En outre, la présence de tanins hydrolysables (oenothéine A e B) est également responsable, outre de son effet astringent, d’un effet anti-prolifératif en inhibant l’action d’enzymes impliquées dans le processus d’hyperplasie (5-alpha-réductase, aromatase).

Epilobium fleischeri

Le genre Epilobium a une distribution cosmopolite mais est surtout présent dans les régions tempérées à subarctiques. Dans ces dernières, on peut citer par exemple l’épilobe à feuilles larges (Epilobium latifolium), une espèce qui ressemble beaucoup à E.fleischeri que l’on trouve aux étages subalpins et alpins à nos latitudes. Très présente au niveau du cercle polaire arctique, notamment en Islande, en Scandinavie et au Canada, cette plante est considérée comme un symbole du Groenland où les habitants en font en effet un large usage alimentaire (crue et cuite) et en tisane. Traditionnellement roulées et fermentées, ce sont les feuilles de E. angustifolium qui servent en Europe de l’est à préparer un thé alcalinisant et sans caféine connu comme thé russe, Ivan Tchaï ou Kaporye Tchaï, aux nombreuses vertus (du soin des insomnies, maux de tête et dépression à la restauration des systèmes épuisés, la stimulation du système immunitaire et à l’amélioration des performances).

Mais l’épilobe (E. angustifolium) est aussi un excellent aliment : ses sommités fleuries encore en boutons et ses fleurs peuvent être consommées, ses très jeunes pousses feuillées être mangées comme des asperges, ses racines, riches en pectine, mucilages et amidon consommées comme des pommes de terre et même la moelle des tiges, légèrement sucrée est très agréable. Très équilibré, il contient de nombreux sels minéraux et vitamines, en particulier du fer (2.7 mg/100g) et 5 à 10 fois plus de vitamine C que les oranges ou les citrons.

Ses fleurs magnifiques, très parfumées et riches en nectar, attirent de nombreux insectes, y compris les bourdons, qu’il n’est pas rare de trouver endormis à l’intérieur. Mais ce n’est pas tout, pour éviter l’autofécondation, cette espèce utilise en effet une stratégie remarquable: sa floraison est progressive de bas en haut le long du racème, et ses fleurs, avec des anthères et des stigmates qui n’arrivent pas à maturité en même temps, sont protandres, c’est-à-dire d’abord mâles et après femelles !

Alors, si vous vous arrêtiez devant cette magnifique plante lors de vos prochaines randonnées?

(Article original publié par Richard Arnoldi dans Homme, Plantes et Nature n°34)